• SOUVENIRS D'ITALIE

    SOUVENIRS D’ITALIE

     

     

    Je suis français jusqu’au bout des ongles par amour de l’histoire de mon pays et de sa culture.

    J’en accepte toutes les qualités et les travers, comme cette "prétention" qui nous est  souvent reprochée  de l’étranger pour laquelle je suis même fier. Oui, nous sommes souvent un peu  "hautains", oui, nous n’apprenons pas les langues, mais il n’est pas facile d’être les héritiers d’une grande nation et d’un empire ! Nous avons les circonstances atténuantes, il est sûr que bien des pays n’ont pas cet héritage, ils ne peuvent pas comprendre. Moi je l’accepte et l’assume, par la même occasion, j’emmerde les pinailleurs et donneurs de leçons. Je suis aussi un môme de banlieue, cousin du "Titi parisien" et descendant de Gavroche, il ne faut pas déconner, si ce ne sont pas des lettres de noblesse  ça ?! Je les trouve bien plus populaires et enracinées que celle de notre président et de ses ministres, bien plus belles en couleurs que celles  des ténors, toujours à la limite du tragi-comique, vert, rose ou rouge.

    Mais voilà, j’ai aussi un second amour, il est là, caché dans mon cœur attendri, l’Italie.

    A l’instant où je couche en vrac quelques épisodes de ma vie, de mes rencontres, des confidences qui me furent faites ou des témoignages que l’on a bien voulu m’apporter, je ne peux détourner ma pensée de ces étés sous le ciel d’Italie, pays de la douceur de vivre pour l’enfant que j’étais.

    Ah ! L’Italie…

    Ce pays au lendemain de la guerre, celle qu’eux et nous n’aurions jamais dû faire, était paradoxal. Autant il était plus moderne que nous dans les infrastructures autant nous le trouvions très en décalage socialement. Pourtant, Dieu sait combien nous étions modestes, mais c’était flagrant. On m’expliqua plus tard, quand la liberté d’expression se décomplexe et reprend ses droits, qu’il eu fallu  connaître le pays avant pour comprendre que ce que je considérais comme "pauvre" était un énorme progrès comparé à la "misère" dans laquelle les gens barbotaient avant une mise à niveau par Benito.

    En attendant, dans notre village, je pouvais suivre avec intérêt et même passion une vie rurale animée.

     -  «  L’Anguria ! L’Anguria ! »

    A six heures du matin le marchand de Pastèque passait avec sa carriole en faisant sonner une cloche à toutes  volées, c’était le début de la journée, même aux coqs assoupis il trouvait le moyen de leur faire la pige ! Nous étions réveillés. Quand je me levais le matin il me fallait descendre par un escalier extérieur pour retrouver la salle à manger et la cuisine où  je prenais mon petit déjeuner avec Marino. Une grande cour fermée était illuminée par le soleil où un chien noir, enchaîné, levait sa tête et battait de la queue en m’apercevant, c’était un rituel, je crois qu’il m’aimait car j’étais le seul à lui faire des caresses. Dans cette communauté dure à la tâche on ne s’apitoyait pas sur les bêtes. Marino était l’un de mes oncles, un homme charmant et doux, toujours silencieux, le visage blessé de rides profondes et la peau cuite par des années de soleil. Autant j’étais attaché par cet homme discret au regard empreint de bonté, autant il me fusillait l’appétit quand je le regardais remplir son bol de limonade pour y tremper des petits bouts de pains, une fois la préparation terminée, il touillait doucement avec une cuillère avant de la porter à la bouche.

    Génial.

    Le matin tôt, la chaleur se faisait sentir, elle prenait de la place, toute sa place au point que les volets étaient déjà clos, il fallait garder la fraîcheur et cette pénombre s’imposait. Nous entendions l’agitation de la rue, le son mélodieux de la langue, des mots chantants auxquels je ne comprenais rien mais qui me berçaient. Il y avait aussi par moment le roulement des roues d’une charrette sur le pavage composé de galets, le claquement régulier des sandales de bois se mêlaient à ceux des sabots ferrés, tout une vie m’appelait et je trépignais d’impatience pour courir dans la rue ébloui par le soleil.

    Pour ma cousine Maria, plus âgée que moi, ma présence pouvait être un dérivatif aux contraintes quotidiennes sous prétexte de veiller et de me promener. Comme c’était une belle jeune fille l’occasion lui était donnée de pouvoir se faire complimenter par les jeunes gens auxquels elle tapait noblement l’ignore non sans savourer des flammes qui se déclaraient aussi spontanément. C’est avec elle et  mes cousins Mario et Raymondo que je vivais chaque année mes bonheurs Italiens et ces arômes inoubliables. Avec mes parents nous descendions à l’Adda une rivière large et nerveuse ou nous pouvions nous baigner, pêcher, parfois nous la traversions avec une barge que poussait un homme avec une perche, un câble en acier nous assurait pour ne pas nous laisser entraîner… De l’autre côté, c’était "Le Grand Paradiso", un restaurant avec une terrasse en bois, ouverte, ou nous pouvions manger une friture. Les femmes parlaient de la famille, les hommes de politique, nous, les plus jeunes, mangions en chahutant en ne prêtant pas attention aux conversations sérieuses et agitées des "grands".

    Après le repas en famille la sieste s’imposait, il n’y avait pas moyen de trainer ses basques avec une telle chaleur, alors c’était étrange, le village si vivant le matin semblait endormi  à jamais, plus un bruit venait perturber ce silence profond, seul le bourdonnement lointain et régulier des insectes s’entendait, et encore, nous y étions habitués. Je ne voulais pas dormir mais c’était toujours la même chose, la fraîcheur de la chambre l’emportait et je n’ouvrais les yeux qu’aux  premiers claquements de volets, un, puis deux, puis c’était un peu partout le même bruit.  On se réveillait alors que l’après-midi était largement entamée, pour ne pas dire que nous côtoyons le début de soirée. Si j’ai bonne mémoire, tout reprenait vie vers les 16h. Les maisons bougeaient, frissonnaient, les conversations reprenaient, c’était le café en vitesse avant le retour au champ, à la vigne ou au potager. De ma fenêtre je regardais souvent ces hommes, lèves tôt au possible, se rendre sur leurs  lieux de travail pour une paire d’heures.

    Et toujours le claquement des sandales de bois…

    Il m’arrivait de suivre Carly pour quelques bricolage ou Marino à sa vigne avec ses grappes de raisins bleus, presque noirs, petits à la peau épaisse mais ho combien savoureux, sucrés, ce qui me valut de bonnes chiasses ! Mon père, qui ne comprenait pas un mot d’Italien restait à l’ombre d’une tonnelle à la vigne chargée pour boire un verre avec Marino et ils parlaient pendant des heures ! Ça restera toujours pour moi un mystère… Ils se comprenaient fort bien et moi je les écoutais vaguement, allonger sur le toit de l’abri en brique pour m’empiffrer du fruit sucré.

    Tous les ans, à la même époque, il y avait un concours entre les villages. Les jeunes étaient autorisés à utiliser les cloches de leur église pour diffuser à un moment précis leurs créations musicales, courtes, mais qui se devaient être les plus mélodieuses. L’arbitrage ? C’était tous les habitants qui écoutaient chaque soir ce duel incroyable de village en village. Pour utiliser les cloches il fallait inventer et fabriquer soit même un système afin de les percuter convenablement et avec précision.

    Raymondo qui devait avoir quinze ou seize ans à l’époque avait fait le sien.

    J’étais trop heureux de les accompagner pour monter au clocher, nous nous installions et attendions que les autres jeunes des clochers voisins terminent leur morceau, je vous assure que c’était passionnant. Soudain je voyais les poings de mon cousin se fermer, se dresser, puis s’abattre sur les cales de bois, la fonte vibrait et Santo Lorenzo soufflait dans la campagne sa mélodie…

    Des moments comme ceux-là laissent des traces.

    Quand nous passions à table, c’était réglé, on devait se taper les bonnes soupes de Célesta, une femme petite et forte avec de gros yeux qui m’impressionnaient. Il fallait ça pour me faire avaler le poivron que je détestais à l’époque et qui était systématiquement collé à tous les repas. Mais restait la suite, tout d’abord la charcuterie qui, en Italie, est aussi incontournable qu’en France et la "Polenta" dont je raffolais et qui accompagnait les plats en sauce. Tous ces gens n’étaient pas riches, loin s’en faut, mais tout comme chez nous ils vivaient et se nourrissaient correctement. A table les conversations allaient bon train, il fallait traduire et c’était un peu gonflant mais à grand renforts de gestes mon père parvenait à se faire comprendre et les malentendus ajoutaient autant de bonne humeur.

    Avant la tombée de la nuit Maria, sous prétexte de me promener avant de me coucher, sortait retrouver une voisine afin de pouvoir faire quelques pas à la fraîcheur du soir. Nous allions au pied de l’Eglise, en bordure du village sur une petite esplanade de graviers  ou des bancs de pierre étaient sagement alignés sous des rangées de Muriers. Autour de nous s’étendaient des champs de blé, de Mais, c’était le calme et elles pouvaient se laisser aller aux confidences, comme toutes les jeunes filles de leur âge… Assis sur l’herbe, à leurs pieds, je me laissais caresser les cheveux en écoutant ces murmures qui me berçaient, ces rires étouffés, cristallins, tout en perdant mon regard vers cette campagne odorante qui s’assombrissait.

    Quand les premières étoiles brillaient dans l’obscurité naissante nous rentrions silencieusement, enfin, toujours accompagné du claquement sec des sandales…

    J’ai bien d’autres souvenirs, cela va de soi, mais j’espère avoir déjà insufflé à mon lecteur ou ma lectrice une part de bonheur sous le ciel d’Italie.

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