• SONIA

     

     Karim était un malien d’une taille impressionnante, un sacré gaillard avec qui j’avais partagé mes tournées de nuit dans Paris. Le soir de notre première collaboration je décidais de faire un peu plus connaissance et nous roulions paisiblement. Tout semblait calme, échangeant des conversations plutôt timides et réservées au début, puis, plus confiante par la suite. J’en arrivais rapidement à la conclusion qu’il était sympa et lui-même ne semblait pas avoir d’animosité à mon encontre.

    C’était important pour bosser en équipe.

    Nous avions stationné Place Dauphine à Paris pour écouter une radio silencieuse, toutes les voitures devaient être, comme nous, dans l’attente d’un appel. C’était une nuit d’été, chaude, de celle qui vous fait coller les chemises sur les dossiers des sièges. Soudain une "Austin" s’arrête à notre hauteur, c’est Sonia, une superbe fille qui ouvre sa porte coté passager pour se pencher et me demander du feu. A la lumière de son plafonnier elle dévoile une paire de jambes à faire craquer une légion d’eunuques. Il faut dire qu’elle avait tout, le décolleté, les escarpins à talons, elle était vêtue de noir ce qui faisait ressortir sa blondeur. En clair, c’était une bombe ! Nous échangeons quelques mots et je présente mon coéquipier que je découvre avec des yeux exorbités. Sonia s’amuse, fait un signe de la main avec un regard coquin puis referme sa porte pour reprendre "maraude". Je me tourne vers mon collègue et lui demande ce qui lui arrive. Il me fixe avec un regard encore sous le coup de l’émotion.

    - Voilà ce que j’appelle une belle femme ! Il faut que tu me la présentes ! 

    - Laisse tomber, ce n’est pas la peine… 

    - Pourquoi ? Elle est raciste ? 

    - Non, mais c’est un homme… 

    Moment de silence. Moi je le regarde en lui faisant un clin d’œil entendu qu’il interprète mal.

    - Ce n’est pas bien chef de te foutre de moi ! Tu me prends pour un imbécile ? 

    J’ai beau faire, expliquer, il ne me croit pas ! Au contraire, il est persuadé que je me fous de lui. Un coup de chance inouï, après "sa boucle" Sonia s’arrête de nouveau à côté de nous…

    - Sonia, j’ai un problème avec mon pote, il te trouve très belle mais il ne veut pas croire que… Enfin, tu vois quoi ? 

    Elle sourit, se penche histoire de nous perturber avec son décolleté puis fixe dans le regard Karim avec un sourire enjôleur.

    - Que je suis un petit garçon ? Bien sûr ! Ca te gêne ?

    Il en est resté bouche bée ! Notre première nuit fut encore plus silencieuse, frissonnant réellement, dégouté au possible, il était hanté par la méprise et restait silencieux pour le reste de la nuit… Il faut reconnaître que Sonia avait le don de troubler les plus virils d’entre-nous.



  • MICHEL

     

    Michel aimait deux choses dans la vie, l’argent et les femmes.

    Quand je dis qu’il les aimait l’un et l’autre ce n’est pas de la rigolade, il en était dingue au point de passer une vie à faire des trucs impensables pour assouvir ses deux passions.

    Contrebandier en cigarettes il ne passait pas un coffre de voiture plein de cartouches, non, c’était carrément par bateau, tant qu’à faire, avec des débarquements en pleine nuit sur des plages désertes pour refiler sa marchandise à ses complices. Un jour il s’est fait repérer par la Douane, il s’est vu perdu et du coup il s’est jeté à l’eau en faisant sauter son rafiot et toute sa livraison… Discrétion oblige, il s’est tiré en Afrique où il a doublé les libanais dans le commerce du cacao. Le principe était simple, il passait avec des camions avant eux et achetait plus cher. Là encore, il fallut qu’il prenne un billet d’avion en catastrophe car les libanais ont la réputation d’être plutôt taquins quand ils sont en colère ! Les années ont passé, il avait fait quelques petites économies qu’il gonfla en Afrique du Sud en exploitant à son compte, même si ce n’est pas lui qui creusait, une mine de diamants. Mais là encore, il s’enfuyait en Côte d’Ivoire pour ne pas être rattrapé par la justice du pays… Enfin, à Abidjan, il devint patron pêcheur avec quatre chalutiers mais il lui fallut dégager définitivement du continent pour avoir brulé d’un coup de chalumeau les miches d’un de ses employés qui lui volait des cageots de crevettes…

    C’est comme ça que je l’ai retrouvé en France alors qu’il avait soixante ans comme gardien de nuit, poste qu’il occupait uniquement pour avoir une couverture sociale. Il vivait autrement assez bien en louant une demi-douzaine de bungalows aux Seychelles des locations d’entrepôts et autres.

    Pour sa deuxième passion, par contre, ça coinçait grave car il avait ce que l’on appelait à l’époque "La maladie de Tito", en fait les artères qui se bouchaient, or, ces dernières, impitoyables l’avaient rendu impuissant.

    - Tu comprends Daniel, j’ai toujours la pression mais plus l’embout !

    Apprenant que l’on pouvait mettre une tige rigide et en silicone dans le sexe des hommes pour leur redonner une constitution digne de Rocco Siffredi il s’est précipité à Montpellier pour se faire opérer. A l’époque il dut verser tout de même en espèces 30 000 francs, ça c’était cadeau pour le chirurgien. L’opération faite il se crut de nouveau opérationnel mais par un caprice du destin il faisait un rejet particulièrement désagréable et son pénis coulait constamment ce qui n’était pas agréable pour lui.

    Qu’à cela ne tienne, il reprit son travail sans rien dire et fit ses rondes en imperméable sous lequel son engin était dressé comme un pieu avec une petite gamelle au bout attaché par une cordelette.

    Il fallait le voir pour le croire !

    Alors qu’un jour nous étions en train de le charrier sur la soit disant solidité de son nouvel équipement il n’avait pas hésité à la sortir pour taper avec sur le bord de la table afin de nous montrer à quel point son truc était fiable. Nous avions été impressionnés, j’aurais fait la même chose avec mon marteau…

    Les années suivantes je suivais sa passion amoureuse et son appétit sexuel débordant en le voyant se faire virer de toutes les agences matrimoniales les unes après les autres suite aux plaintes de femmes peut-être pas mécontentes sur la forme mais sur le fond, car il n’y avait jamais de mariage…

    Je l’ai perdu de vue, la dernière fois que je l’ai rencontré c’était à la Barclays Bank où il désirait mettre des diamants dans un coffre, ce qui lui fut refusé, la provenance n’étant pas très nette…


    MICHEL



  • MELISSE

     

     Nous avions chez nous un jardinier.

    Mon épouse et moi étant tous deux respectivement pris par nos activités professionnelles, les fins de semaines se réduisaient comme peau de chagrin, nous  ne pouvions entretenir notre terrain qui était d’une part assez grand mais, surtout, en lisière de forêt. Il  nous fallait quelqu’un qui, chaque jour, puisse surveiller si quelques "saloperies" ne se pendraient pas quelques libertés envers la propriété privée, félins, serpents et autres bestioles antipathiques.

    Notre chat, un siamois complètement fondu, n’hésitait pas à garder son territoire, un vrai fou, ce qui lui valut plusieurs séjours en soins, limite intensifs, et en rééducation. Sous son pelage, il devait être plus cicatrisé qu’un légionnaire romain après vingt ans de campagne… Non, ce n’était plus possible, il nous fallait bien un jardinier.

    Ce fut Mélisse.

    Des amis nous l’avaient conseillé, il ne voulait travailler que pour des français estimant que "les autres", entendons les locaux, étaient trop injustes et à la limite de l’honnêteté pour payer les salaires. J’ai en ce temps-là souvent entendu cette réflexion. Notre employée elle-même, multi-casquettes dans ses fonctions de bonne, femme de ménage, cuisinière et garde d’enfants avait tenu le même langage. Bref, nous l’avions vu travailler les premières semaines sans ménager ses efforts, il avait doublé notre clôture de barbelés d’une haie qui s’était vite épaissie et fleurie, nous étions donc heureux d’avoir porté notre choix sur cet homme.

    Un matin, ma femme en ouvrant les volets pousse une exclamation de surprise… Le jardin était en fleurs ! Là, par contre, ça dépassait l’entendement et Mélisse apercevant sa patronne s’était tourné vers elle tout sourire en s’exclamant :

    - « Toutes belles fleurs pour toi Madame ! »

    Ce n’était plus un jardinier mais un magicien !

    La villa commençait à avoir fière allure et c’est avec de plus en plus de satisfaction que nous étions partis travailler. Le même jour ma femme croise une amie qui lui parle de choses et d’autres jusqu’au moment où elle lui avait dit une phrase qu’il l’avait pour le moins intriguée.

    - «  Il faut que je vois mon jardinier, Mélisse, car ce matin je n’ai plus de fleurs ! »

    De retour à la maison, elle s’approche d’un massif, tire sur l’une des fleurs et constate qu’elle n’a aucune racine, elle était purement et simplement coupée !

    Il avait voulu faire plaisir à ma femme… « Toutes belles fleurs pour toi, Madame ».


    MELISSE



  • LULU

     

    Lucien, plus connu sous le surnom de "Lulu" était un clochard que tout le village avait plus ou moins pris en sympathie. Pour les habitants du bourg comme les fermes avoisinantes c’était le phénomène local, clochard par vocation, une volonté sans faille pour se mettre au banc de la société qu’il prenait en grippe un peu plus chaque jour que Dieu faisait. En vérité, je connaissais les véritables raisons pour lesquelles Lucien avait "décroché" pour se réfugier en terre berrichonne, vivant de dons, car il refusait catégoriquement de faire l’aumône, ou de petits boulots pourvu qu’ils soient ni longs, ni fatiguants. Lié d’amitié avec le patron d’un hôtel restaurant j’appris toute l’histoire de cet homme qui en avait fait à mon ami la confidence par une soirée d’hiver particulièrement arrosée.

    Lulu était un homme installé, marié, avec deux enfants, de bonne situation et que tout promettait pour un avenir radieux. Or, sa compagne n’avait pas trouvé mieux que de le tromper, ce qui en soit est déjà fâcheux, mais quand il sut que c’était avec son propre père il eut matière à péter une durite ! Non contente de cet exploit rarissime pour l’époque, elle avait enfoncé le clou en se barrant avec armes et bagages, entendez par là les enfants qui étaient en bas âges, pour suivre le géniteur ingrat dans le pacifique et couler des jours heureux. Tout le monde sait bien que le bonheur des uns ne fait pas toujours celui des autres et le Lucien a complètement dévissé quand, dans un état de santé fragile, il dut faire face à un contrôle fiscal sur dénonciation de l’une de ses employées.

    La totale.

    Voilà donc ce qui poussa réellement notre "Lulu" à trainer de fermes en fermes pour y trouver pitance et repos, chacun lui réservant une assiette en prenant soin de le faire manger à part, car l’hygiène n’était pas son fort, et une place avec de la paille fraiche dans son étable. Une vie avec des journées en plein air, conduisant des bêtes, récoltant des pommes de terre ou des carottes dans les vergers, cueillant des fruits ou donnant du fourrage aux bêtes pour finir ses nuits dans les enclos déserts et disponibles réservés généralement aux chèvres ou aux veaux avec l’arôme des bouses de vaches. Mais rien de tout ça n’en venait à bout, c’était sa vie, il s’en était fait une raison et il composait avec.

    Un jour, alors qu’un paysan devait se rendre à un mariage dans une ferme voisine il lui fut demandé de surveiller une vache qui devait mettre bas prochainement, ceci dit, par sécurité on lui confia la tache de veiller sur la future maman, au cas où… Quand le couple fut de retour, il découvrit avec surprise que notre homme dormait profondément alors que non loin la vache léchait un beau petit veau. Sur le coup le proprio avait été au lard, imaginant que la pauvre bête avait mis bas seule et sans surveillance mais réveillé par l’engueulade notre homme fut de fort mauvaise humeur. Lulu, hautain, déclara à qui voulait l’entendre qu’il avait assisté la bête et qu’il n’avait aucune leçon à recevoir étant vétérinaire de métier !

    Stupeur.

    Cette histoire est authentique et le surnom de "Lulu" fut remplacé par "Le Toubib".

     

     

    LULU


  • L’ENFANT MEDIUM

     

     J’étais en ce temps là chez les scouts, si je ne le suis plus aujourd’hui, j’appartiens toujours et pour la vie à cette famille à qui je dois tant… Je parle des scouts dans ce qu’ils ont de plus précieux, avec leur histoire et leurs traditions, pas sous la forme de colonie de vacances de certaines formations d’aujourd’hui.

    Bref, j’effectuais un raid en Auvergne quand, sur un plateau écrasé de nuages menaçants, je demandais dans une ferme isolée l’autorisation de puiser un peu d’eau.

    Pour l’eau j’ai vite été servi.

    Un couple de vieillards m’avaient fait entrer en catastrophe dans leur cuisine au moment où un déluge d’eau, aussi soudain qu’imprévisible, venait perturber ma demande. Je me retrouvais dans une grande pièce sombre à la forte odeur de bois brûlé et aux arômes étranges, inconnus, un mélange de tout ce qui pouvait se faire dans cette pièce commune depuis de nombreuses années. Dans l’âtre rougeoyant, un petit chaudron couvert y était pendu à une crémaillère en laissant péniblement se faufiler dans cette atmosphère le parfum d’une soupe.

    Nous avions sympathisé, échangeant des propos sous l’averse qui frappait les vitres et le grondement lourd d’un orage lointain.

    C’est au cours du repas que nous prenions ensemble que le vieil homme au béret cassé m’avait raconté cette étrange histoire, celle de l’un de ses cousins qui avait un jour vécu une bien mauvaise expérience.

    L’enfant jouait dehors, au bord de l’eau, à quelques centaines de mètres de la métairie près d’un vieux pont en pierres vermoulues que l’on aimait dire "romain" quand il fut attiré par une apparition étrange. Une femme le franchissait lentement, d’un pas hésitant, sans même le regarder, les yeux portés vers le ciel… Persuadé de reconnaître une personne de sa connaissance et qui vivait dans le bourg à quelques kilomètres de là, il s’approchait pour la saluer quand il s’aperçut qu’elle était vêtue d’une chemise de nuit ensanglantée !

    Affolé, après un moment d’hésitation bien compréhensible, il s’enfuit pour prévenir ses parents.

    On le crut menteur, affabulateur, puis fou… Mais devant son insistance, comme rien ni personne n’était plus sur le chemin, on se décida à se rendre au village pour s’assurer que la personne en question n’avait rien.

    Or, la pauvre fut découverte dans sa chambre, morte, sa chemise de nuit ensanglantée par une hémorragie.

    J’ai gardé cette histoire en mémoire car elle me rappelait les nombreux témoignages de Flammarion sur son enquête concernant le paranormal… A présent, je la livre telle quelle, une de plus me direz-vous ? Oui et ce sera toujours une de trop, aussi.


    L'ENFANT MEDIUM


     





    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique