• LA PATROUILLE

     

    Voilà un sujet qui me tient à cœur ! Dans l’immense ingéniosité de Lord Baden Powell il y eut le principe des Patrouilles.

    Que l’on aime ou non le scoutisme, peu importe, on s’en fout royalement car ce qui compte c’est la création et l’application de cette idée combien efficace, utile et généreuse aussi bien sur le fond que sur la forme. Ce que les Scouts de France, en tant que formation, ont abandonné et qui a eu, à mon sens, pour résultat de faire de leur mouvement la plus grande colonie de vacances que je connaisse… Je suis convaincu qu’il faut savoir ce que l’on veut dans la vie, ou on fait du scoutisme et c’est une chose ou l’on fait une association des "Joyeux campeurs" ou une colo de base.

    J’ai toujours été du côté des créateurs, rarement des imitateurs.

    Mais, là aussi, peu importe, car des dizaines de formations de Scouts en France (il est facile de se renseigner) maintiennent fermement "l’esprit" et les "us et coutumes" ce qui est profitable pour tous nos jeunes qui y adhèrent, y vivent et s’y épanouissent.

    Je signale que jamais, au grand jamais, avec nos problèmes de banlieues ce scoutisme "réel", celui conçu par Lord Baden Powell, n’a jamais été aussi indispensable, tout comme il y a un siècle dans les périphéries de Londres et de toutes les grandes villes d’Europe ou des milliers de jeunes étaient à la dérive, ce pourquoi il fut inventé.

    Donnez-nous tous ceux que vous ne voulez pas.

    Ça pourrait faire du monde de nos jours…

    Enfin, dans cette conversation à bâton rompu, il est important de comprendre avant toute chose que sans volonté aucune de connotation militaire, loin s’en faut, les couleurs verte ou kaki étant plus à même de correspondre aux activités dans la nature, ce qui est tout de même plus efficace que le rouge vif, jaune poussin ou bleu criard pour l’observation de la faune, pour ne citer que cette activité.

    Quoi qu’il en soit, l’uniforme est indissociable de la patrouille, la patrouille de l’uniforme.

    Je m’explique.

    La patrouille ne peut s’expliquer que par les milliers d’exemples connus, tous sur le même modèle, elle se compose d’un Chef de patrouille, CP, d’un Second, SP, d’un troisième, d’un quatrième, etc., jusqu’au " Cul de pat’" le bon dernier, généralement le plus jeune sinon toujours le nouveau. L’effectif d’une patrouille, qui répond toujours d’un animal et dont tous en connaissent les modes de vie, ne dépasse pas huit individus, généralement il est de six ou sept.

    La hiérarchie de la patrouille est fondée sur la volonté, les compétences et la valeur de chacun, voilà un détail d’importance car il est à la base de tout.

    Ainsi, vous pouvez avoir comme chef de patrouille un fils de chauffeur de bus, un autre de cadre comme second, un d’ouvrier comme troisième, un de chômeur comme quatrième et j’en passe, la liste n’est pas limitative ! La condition sociale de chacun des patouillards s’efface donc d’autorité dans cette «réorganisation naturelle» qui s’appuie sur des valeurs autres que celles de la société. Ils sont tous jeunes, conscients de leurs responsabilités, décidés à donner le meilleur d’eux-mêmes pour la collectivité, à savoir, la patrouille.

    Arrive enfin l’utilité de l’uniforme, "il termine le travail" si je puis m’exprimer ainsi en nivelant l’aspect extérieur que pourrait refléter ces différences sociales, mêmes tenues, même tissus, mêmes couleurs ce qui a en contrepartie le mérite de faire «visualiser» aux yeux de tous, l’appartenance à une même famille. Seule distinction, les badges, indiquant que tel ou tel est  "infirmier", "radio", "photographe" et autres mais cette fois ce sont des spécialités qui leur sont propres ! Idem pour les classes, "première" et "seconde", qui marquent la compétence acquise, bref, ça reste obstinément une affaire de famille, c’est interne, c’est chez eux, dans le monde qu’ils se sont construit.

    Comme la promesse qui se porte sur la poitrine, celle du respect d’une loi qui leur est propre. Certes, certains peuvent sourire de cette promesse où le scout, désireux de la faire, prête serment.

    Mais à ce propos il prête serment sur quoi, au juste ?

    En gros, s’il est croyant "A servir Dieu et son prochain", il affirme en attendre aucun avantage matériel et accepte comme première obligation celle «d’une bonne action quotidienne». Il promet sur l’honneur de respecter les trois vertus "Franchise", "Dévouement", "Pureté" et les trois principes, "Le scout est fier de sa foi et lui soumet toute sa vie", "Le scout est fils de France et bon "citoyen",  "Le devoir du scout commence à la maison" et, ainsi, il tiendra cette promesse "s’il plait à Dieu toujours". S’il existe d’autres variantes concernant les formations non croyantes, le principe, le fond, est strictement le même.

    C’est donc un message de paix, on prête serment sur des valeurs honorables, ça ne mérite pas l’opprobre ou le peloton d’exécution surtout à une époque où des gamins de dix ans agressent en classe leurs professeurs à coups de Cutter !!

    Voilà à quoi ressemblent ces Bipèdes étranges, bardés de traditions, enfants du futur avec les marques de son passé comme insigne, toute la sagesse y est. En patrouille, donc, ils sont livrés à eux-mêmes et prennent leur destinée en main, le Chef de Patrouille veillant sur le plus fragile, ce fameux "Cul de Pat’", c’est une règle incontournable, il gère, prévoit, soutenu par son second et si besoin par des décisions collectives de tous ses patouillards.

    Oui, ce sujet me tenait à cœur car je garde un bon, un tendre et délicieux souvenir de ma patrouille, "Les Aigles" où j’avais des camarades d’exception que sans elle je n’aurais peut-être jamais fréquentés. 


     

    LA PATROUILLE



  • DON CAMILLO

     

    Quand je dis à mes enfants que j’ai rencontré Don Camillo ça les amuse, ils doivent me voir un rien conteur et je les devine tentés de me chanter la chanson de Charles Trenet «Vous oubliez votre cheval».

    Pourtant, je laisse juge le lecteur.

    Ma rencontre tient à un rendez-vous en Italie dans un petit village, il m’attendait au milieu de la place, droit, campé sur ses jambes et les bras croisés.

    Si on se souvient de Fernandel, je vais tenter de faire une comparaison physique du prêtre à qui j’avais à faire. Grand, un bon mètre quatre-vingt, large d’épaules, musclé, une bonne tête qui pouvait dégager la plus grande tendresse selon le sujet comme la grogne la plus menaçante. Outre sa soutane et son chapeau, à l’identique de l’acteur, il devait chausser grand et large car ses godasses avaient presque la taille de péniches.

    Reste le comportement, tout d’abord homme de foi, je l’ai vu se signer et parler à haute voix au Seigneur, non pas par des conversations tenues mais des phrases dans le genre « Votre humble serviteur, Seigneur». Le prêtre avait une solide réputation de montagnard, il était guide et avait «fait» vingt-trois fois le Cervin, taquiné régulièrement le Mont blanc et quelques autres dont je n’ai plus souvenance des noms. Enfin, à table il valait mieux l’avoir en photo que le nourrir et côté descente ça ne chinoisait pas non plus.

    C’est dire le gaillard.

    Mais la ressemblance ne s’arrêtait pas là, il avait à faire quelques fois à ses «rouges» locaux où des gens du village m’avaient confié que ce n’était pas un problème car en cas de litiges ou d’abus il allait chez les intéressés et ça s’arrangeait toujours «d'homme à homme» derrière «une grange ou dans un coin discret». On m’avait précisé que, vu le morceau, les volontaires manquaient souvent à ce sport ce qui maintenait dans le coin une certaine stabilité alors que les villes Italiennes plongeaient en pleine violence. Quand je lui en touchais deux mots, c’est lui qui s’était fait discret là-dessus.

    - «Non, il y a beaucoup d’exagération vous savez !»

    Il n’empêche que des gens m’avaient relaté qu’un dimanche matin avant la messe il avait retiré des photocopies du portrait de Staline qui avaient été traitreusement déposées sur les bancs de l’Eglise ce qui l’avait rendu furieux. Une fois la messe terminée il avait fait une descente où les «fortement soupçonnés» de cet acte criminel avait organisé ce que l’on appelait en ce temps-là «une boum» et où ça avait gravement dégagé.

    Voilà qui me met en mémoire un Fernandel en terrasse de café…

    Alors ? Je n’ai pas rencontré Don Camillo ?

     

    DON CAMILLO



  • LE FACTEUR

     

     Le facteur était le père de mon pote, "Nono", avec qui j’allais à l’école.

    Non seulement nous étions copains mais également voisins, il vivait dans un deux pièces au rez-de- chaussée d’un immeuble dans la rue voisine de la mienne. Nous étions inséparables, comme un vieux couple avec ses périodes de soleil et d’orages, des disputes pour une bille ou un Malabar qui n’était pas partagé, jamais rien de grave, pour preuve, le rabibochage ne traînait jamais. Il avait un petit vélo blanc avec des gros pneus et pour l’époque ce n’était pas rien, son père, notre facteur, avait du casser sa tirelire ce jour-là… Nous en avions fait "Nono" et moi des ballades sur son vélo, l’un ou l’autre au guidon ou sur le porte bagage, nous avons aussi partagé des "quatre heures", des

    "bombecs" et quelques retenues à l’école.

    Un pote, quoi !

    Son père nous apportait le courrier, en ce temps-là le personnel de la poste faisait preuve d’une certaine présentation, il portait un uniforme, un képi et une cravate. Les employés de cette bonne vieille institution n’étaient pas comme aujourd’hui, fringués n’importe comment, en jean ou en pantacourt… Il y avait l’amabilité en plus, il était polis et serviables, bref, c’était avant, quand chacun était persuadé d’être le représentant de sa boîte, une sorte d’ambassadeur, chez qui la faute entacherait l’ensemble de la profession. Allons, ne soyons pas méchants, il y a encore quelques beaux spécimens dans cette maison…

    Mais il sifflait !

    Tout le temps, on l’entendait venir de loin, c’était sur les airs de l’époque, Montant, Piaf, Bécaud, Aznavour, tout le répertoire y passait. Du reste, c’était connu au point que son souvenir, son image, étaient indissociable des sifflements qu’il émettait du matin au soir et quand bien même il finissait son travail, il sifflait toujours en rentrant chez lui… A la fin d’un été, j’appris que mon copain "Nono" ne reviendrait plus. J’étais encore trop jeune pour comprendre réellement ce que signifiait la mort et ma réaction était mitigée. Ce que j’avais essentiellement retenu, c’était que le dernier jour, pendant que son père démontait la tente de camping, il finit par céder aux suppliques de son fils pour une dernière baignade dans le lac et celle-ci lui fut fatale.

    Comment peut-on mourir à 10 ans ? Quelle cruauté !

    Je me retrouvais sans mon copain et puis, le plus grave, c’était que je n’osais plus rencontrer notre facteur car je savais qu’il nous considérait quelque part comme deux frères, je craignais que sa douleur se réveille à chacune de nos rencontres, alors qu’en vérité ça lui aurait fait beaucoup de bien à cet homme, mais je me retranchais derrière cette excuse dont je m’étais persuadé du bien fondé.

    Je n’étais pas lâche, je n’étais qu’un enfant…

    Il y eut un changement de taille, depuis, dans notre quartier… Le facteur ne sifflait plus.

     

    LE FACTEUR



  • LE COUVERT

     

     - «Je vais vous demander de prendre les patins, ça ne vous ennuie  pas au moins ?»

    - «Non, pas le moins du monde…»

    - «C’est ma femme, vous comprenez ? Elle est maniaque au possible !»

    Ce n’était pas vraiment un vieillard, à soixante ans, de nos jours on est souvent très en forme. Pourtant, je découvrais cet homme bien fatigué, les cheveux blancs, dégarnis, le visage ridé et le dos vouté, il me précédait dans le couloir en glissant doucement sur le parquet rutilant. Effectivement, en découvrant le salon, je devais bien admettre que la châtelaine était pour le moins pointilleuse sur la propreté de la maison.

    Si son mari semblait porter sur ses épaules toutes les misères du monde, il n’en restait pas moins gai et même enjoué au point d’avoir le geste assez vif  pour accompagner la parole.

    Ainsi, un zest d’Italie berçait notre conversation…

    Je commençais donc mon état des lieux à l’étage :  un bureau, une chambre d’ami et la leur au contenu de la penderie largement occupé par les vêtements de Madame, ce qui est généralement le cas ; dans la salle de bain rutilante deux gobelets a brosse à dents, des produits de beauté, bref, du classique… Ma visite se déroulait dans une bonne ambiance, nous parlions de tout et de rien, nous avions commencé  par la météo, le coup classique avant d’aborder des sujets plus sérieux notamment la retraite de son épouse qui leur permettait à tous deux de retourner au pays pour y couler des jours heureux.

    Une fois terminé, je demandais où  m’installer pour chiffrer mon devis, vu que la table de la cuisine était déjà dressée et que tout était prêt pour le retour de sa femme. Nous décidons donc de nous installer au salon où je peux consciencieusement calculer mon prix.

    - «J’aimerais que nous ne tardions pas car elle va bientôt arriver et la pauvre n’a que la force de se mettre les pieds sous la table».

    Je rassure ce brave homme et lui communique peu après le montant de ma prestation de déménagement. L’affaire est entendue, il signe et me verse les arrhes… Nous échangeons encore quelques mots avant de nous quitter puis je retourne à ma voiture.

    Trois jours après je reviens pour lui livrer des fournitures mais mon client n’est pas là, alors je sonne chez son voisin, un petit pavillon planté au cœur d’une végétation ébouriffée.

    - «Je viens livrer des fournitures pour Monsieur et Madame « X »

    L’individu s’étonne.

    - «Monsieur, c’est « Monsieur »…»

    - «Pourquoi ? Il n’est pas marié ?»

    - « Sa femme est morte voilà plus de dix ans… »

     

    LE COUVERT


     

     


  • INCIDENT A MILAN

     

     Qui n’a pas roulé dans Milan ne peut pas connaître l’incohérence d’une circulation confuse et bordélique au possible. Aux voitures qui semblent à peu près disciplinées vous aviez des tas de mobylettes, de scooters ou de triporteurs qui s’entrecroisaient comme des furieux en zigzagant souvent au péril de l’équilibre du pilote.

    En plein centre-ville un jour une voiture se fait heurter par l’un de ces engins et se fait exploser le clignotant. Jean est furieux, tenter de rouler dans cette ville était déjà impossible, mais se faire "bigner" par un jeune con, c’était trop ! Il sort de sa voiture et empêche le livreur de partir car il exige un constat, il ne parlait pas l’italien, l’autre ne comprenait pas le Français, tout allait pour le mieux et dans le meilleur des mondes !

    La circulation est figée, la place embouteillée et c’est un concert de klaxons qui alerte au loin les autorités. Une foule compacte se rassemble, curieuse et plutôt hostile devant ce français « plein aux as » qui ne veut pas laisser partir ce pauvre garçon. Un homme distingué écarte la foule, il se présente et tient ces propos dans la langue de Molière.

    - «  Allons Monsieur, soyez indulgent, un clignotant représente peu de chose pour vous alors que pour ce pauvre livreur c’est une somme. Ne pourriez-vous laisser repartir ce garçon, sans plus ? Et puis, regarder toute cette foule, elle ne comprend pas votre obstination, allons, ce n’est pas sérieux !»

    Ce qui laissait entendre « dangereux ». C’était sans connaître Jean qui avait encore en mémoire la priorité qui venait de lui être refusée et la queue de poisson du livreur.

    - «Vous parlez bien le français !»

    - «Merci !»

    - «Alors dites à tous ces gens que j’emmerde tous les Milanais ! Je veux un constat !»

    L’autre en restait sur le cul, traduire une telle déclaration c’était le lynchage assuré. Visiblement, ce type devait être à ses yeux un fou furieux et il vit arriver avec soulagement les casquettes de la police qui fendaient la foule.

    Les policiers n’appréciaient visiblement pas les propos de ce français rapportés scrupuleusement par leurs concitoyens concernant son opinion sur les Milanais, ils firent donc traduire une recommandation sur la plus élémentaire des politesses avant de verbaliser le fautif et de faire ce fameux constat.

    Il fallut faire dégager la concentration des mécontents pour laisser repartir les voitures.

    L’année suivante, je suis avec mon oncle quand un cycliste provocateur empêche tout dépassement de notre voiture. Excédé, le tonton appuie sur l’accélérateur et assoit l’importun sur le capot ! Coïncidence, c’était sur la même place, le même mois, à Milan.

     

    INCIDENT A MILAN





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